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La Loi sur les normes du travail Chapitre IV - Les normes du travail (Art. 39.1 à 97)

Chapitre IV - Les normes du travail (Art. 39.1 à 97)

Section IX - L'effet des normes du travail (Art. 93 à 97)

Article 97

Aliénation d'entreprise

L'aliénation ou la concession totale ou partielle de l'entreprise, la modification de sa structure juridique, notamment, par fusion, division ou autrement n'affecte pas la continuité de l'application des normes du travail.

1979, c. 45, a. 97.

Interprétation

Cette disposition vise essentiellement à protéger la mise en application de l’ensemble des normes du travail dont un salarié a pu bénéficier au sein d’une entreprise. Voir l’interprétation à l’article 96 LNT pour les notions d’entreprise, d’aliénation et de concession.

La modification de la structure juridique de l’entreprise s’entend de la fusion, de la division ou de tout autre changement dans son « organisation ». Ce serait le cas par exemple d’un individu propriétaire d’une entreprise qui décide de constituer une société et de transférer son entreprise à celle-ci ; l’entreprise a continué, mais elle est maintenant la propriété de la nouvelle société.

Les facteurs ci-dessus mentionnés n’affectent pas la continuité de l’application des normes du travail édictées par la présente loi. En effet, il faut éviter d’interpréter la Loi sur les normes du travail à la seule lumière des règles de droit civil. L’objet de l’article 97 LNT est d’écarter l’effet du principe traditionnel de droit civil qu’est la relativité des contrats, énoncé à l’article 1440 du Code civil du Québec. Au Code civil du Québec, ce même principe est aussi écarté par le texte de l’article 2097 du Code civil du Québec, qui énonce que l’aliénation de l’entreprise ou la modification de sa structure juridique par fusion ou autrement ne met pas fin au contrat de travail.

L’article 97 LNT assure la continuité des normes malgré le changement d’employeur. Dans ce cas, en effet, le contrat se poursuit et ce nouvel employeur en assume la responsabilité. Le lien d’emploi subsiste alors comme s’il n’y avait eu aucun changement.

Le législateur a manifestement voulu que l’application des normes du travail s’attache à l’entreprise, quel que soit celui qui l’administre. C’est le rattachement du contrat de travail du salarié à l’entreprise plutôt qu’à la personne de l’employeur qui détermine l’étendue de ses droits. Une illustration serait le cas d’un salarié qui travaille pour l’entreprise A depuis deux ans. Il y a vente de l’entreprise A à l’entreprise B. Dans un an, ce salarié, lorsqu’il aura atteint trois ans de service, aura droit à 6 % à titre d’indemnité de congé annuel.

Le service continu fait partie des normes couvertes par l’article 97 LNT. Par exemple, si un salarié justifie de deux ans de service continu, le législateur a voulu qu’il puisse exercer un recours pour congédiement sans cause juste et suffisante indépendamment des changements de structure ou d’administration de l’entreprise pour laquelle il a travaillé.

Compte tenu de l’état actuel de la jurisprudence, un salarié peut bénéficier de certains droits en vertu de la Loi sur les normes du travail, et ce, malgré la prise de possession en cas d’insolvabilité ou la faillite de l’entreprise en cours d’emploi. Il n’y a pas interruption du service continu lorsque l’entreprise n’a jamais cessé ses activités ou son exploitation active.

Jurisprudence
Produits Petro-Canada inc. c. Moalli, [1987] R.J.Q. 261 (C.A.)
Ventes Mercury des Laurentides inc. c. Bergevin, D.T.E. 88T-153 (C.A.)
Martin c. La compagnie d’assurances du Canada sur la vie, [1987] R.J.Q. 514 (C.A.)

L’article 97 LNT constitue une norme du travail et s’applique au recours en vertu de l’article 124 LNT.

Cyr c. EDS Decommissioning Canada inc., D.T.E. 2014T-17 (C.R.T.)

À la suite de la fermeture de l’usine Papiers Gaspésia, la Société de développement économique et industriel de Chandler (SDEIC) a été chargée de démanteler l’usine.

Depuis 2004, une portion de la SDEIC assure le service de gardiennage de l’usine Gaspésia pendant son démantèlement. En mars 2012, un contrat est intervenu entre la SDEIC et l’entreprise EDS pour continuer les travaux. Il a été entendu que le service de gardiennage serait maintenu jusqu’au 30 décembre 2012 par la SDEIC. Après cette date, EDS constate que les besoins de gardiennage sont encore présents et décide d’assurer ce service avec les mêmes gardiens et le même mode de fonctionnement. Ce faisant, EDS reprend à son compte une portion de l’entreprise de son cocontractant qui, en quelque sorte, la lui concède. Pour que l’article 97 LNT trouve application, il est nécessaire qu’un lien de droit existe entre les deux employeurs successifs. Le contrat intervenu en mars 2012 entre les deux entreprises le démontre clairement.

Cloutier c. 2740-9218 Québec inc., (Resto Bar Le Club Sandwich), D.T.E. 2008T-305
(C.R.T.). Requête en révision judiciaire, règlement hors cour (C.S., 2008-10-21),
500-17-042622-087

Les plaignants ont été successivement à l’emploi des compagnies intimées, dans le domaine de la restauration, pour des périodes variant de 4 à 12 ans.

« Selon la jurisprudence majoritaire, pour conclure à une aliénation d’entreprise, les employeurs successifs, qu’ils soient ou non impliqués dans une vente en justice ou un processus régi par la LFI, doivent présenter un lien de droit entre eux et continuer la même entreprise.

[…]

Le lien de droit entre l’ancien et le nouvel employeur repose sur la transmission volontaire de l’entreprise par vente, donation, legs ou entente de nature juridique ou du droit de propriété (citant Mode Amazone) :

«Il faut cependant que des éléments suffisants, orientés à une certaine activité par un premier employeur, se retrouvent chez un second qui s’en sert, de façon identifiable, aux mêmes objectifs quant au travail requis des salariés, même si sa finalité commerciale ou industrielle est différente.»

[…]

Une fois les deux conditions remplies, les employeurs successifs sont liés par le contrat de travail et les responsabilités qui en découlent. »

Bucovetsky c. 180634 Canada inc., D.T.E. 2011T-700 (C.R.T.)

La plaignante, une vendeuse depuis 1986, apprend en octobre 2010 que l’employeur vend l’entreprise et met fin à son emploi immédiatement. Elle conteste son congédiement, mais le nouvel employeur ne se considère pas responsable de cette fin d’emploi.

Cependant, l’acquéreur n’interrompt pas les activités de l’entreprise, les salariés sont les mêmes mais en moins grand nombre, l’objectif de l’entreprise, soit la vente de produits d’emballage, est le même, il achète les actifs et sert la même clientèle. Il conserve le même numéro de téléphone et le même site Internet, et la raison sociale est pratiquement identique.

Ces éléments de preuve permettent de conclure à la continuité de l’entreprise. La transaction ne met pas fin au contrat de travail et crée un lien de droit entre l’ancien et le nouvel employeur.

Jacklin c. Atelier G. Meunier et Fils inc., D.T.E. 2001T-865 (C.T.)

L’article 97 LNT s’applique de plein droit. Ainsi, une plainte déposée contre un employeur est, « de plein droit, transmise à l’acquéreur de l’entreprise originelle ».

Racine c. Orviande inc., D.T.E. 2001T-606 (C.T.)

« Par l’effet conjugué des articles 97 et 124, le législateur a voulu que le service continu soit rattaché à l’entreprise, peu importe celui qui l’administre ou les variations de sa structure juridique, et ce, afin d’assurer une stabilité relative aux conditions de travail. La propriété de l’entreprise peut être modifiée par une vente, entre autres, mais la continuité de l’application des normes du travail se rattache à l’entreprise plutôt qu’à l’employeur. »

9256-0929 Québec inc. c. Turcot et Roy, D.T.E. 2016T-170 (C.A.). Requête pour autorisation de pourvoi à la Cour Suprême rejetée le 20 octobre 2016, dossier no 36959
Turcot c. 9256-0929 Québec inc., 2017 QCTAT 5381

La règle functus officio n’implique pas que le décideur ne peut plus entendre aucune demande de quelque nature qu’elle soit une fois la décision sur le fond rendue. Elle n’empêche pas la CRT d’exercer les pouvoirs que la loi lui attribue pour se prononcer a posteriori sur une question accessoire qui ne remet pas en question cette décision.

Étienne c. Optique Laurier inc./Lunetterie Optique Laurier (Jean-Talon), 2018 QCTAT 3239

En l’absence de preuve à l’effet contraire, le Tribunal tient pour acquis que l’article du journal et le contenu des extraits du registre tenu par le Registraire des entreprises établissent une poursuite des activités de l’entreprise. Dès lors, le Tribunal doit conclure qu’il y a continuité d’entreprise au sens des articles 96 et 97 de la LNT, et donc qu’il y a responsabilité solidaire dans l’exécution du dispositif de la décision.

Ponton-Lamy c. 9206-0185 Québec inc., 2018 QCTAT 5402
Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) c. Village Grande Nature inc., 2018 QCCQ 831

La faillite de l’entreprise n’a aucun impact; cela n’affecte pas la continuité de l’application des normes du travail.